Candlestick Point est une zone côtière de la baie de San Francisco. Durant la seconde guerre mondiale elle servit de chantier naval à la marine US. Désaffecté, le lieux laissé à l’abandon se transforma en décharge sauvage. C’est à la fin des années 1980 que Lewis Baltz y plante sa caméra. Pour contextualiser cette œuvre majeure, Wolfgang Scheppe, dans sa postface érudite à la nouvelle édition de Candlestick Point, convoque Baudelaire, Goethe, Kant, Adorno, Bachelard, Tocqueville, Benjamin, Duchamp, Foucault, Beckett, Brecht, Hegel et même Karl Marx. Ces multiples références permettent de préciser l’inscription de Baltz dans l’histoire de l’art. Entre land art, art conceptuel et minimalisme, il infléchit de manière nouvelle et radicale la conception du paysage. À ces noms prestigieux, on a envie d’en rajouter deux : Georges Perec et Michelangelo Antonioni. Perec pour sa Tentative d’épuisement d’un lieu parisien. Car, comme dans certains de ses autres livres (Park City, San Quentin Point) c’est bien à cela que se livre Baltz : Tenter de mettre K.O. le réel par la force de l’art. Candlestick Point, langue de terre entre la mer et la ville, est un lieu circonscrit, comme l’est la place Saint-Sulpice vue du café de la Mairie. Évidemment, pas plus que Pérec, Baltz n’est dupe de la possibilité de parvenir à l’épuisement. Le réel résiste. Ce qui compte, c’est la forme mise en œuvre, l’énonciation. La tentative d’embrasser la totalité d’une réalité observable. Et c’est là que le nom d’Antonioni surgit également. Pas uniquement par le titre de l’œuvre qui évoque le Zabriskie Point du réalisateur italien. Pas uniquement non plus parce que, sur le ton de la demi plaisanterie, Baltz confiait il y a quelques temps à John Gossage et Monte Packham qu’il aurait aimé être Antonioni. Le lien se fait plutôt à travers un questionnement commun du réel et de l’image. À propos de Blow-Up, le réalisateur expliquait à William Arrowsmith* : “Je veux recréer la réalité dans une forme abstraite. Je questionne réellement la nature de la réalité.” À l’évidence, de tels propos pourraient définir l’œuvre de Lewis Baltz. Cette proximité est renforcée par le désir de cinéma, d’image mouvante, manifeste dans Candelstick Point. Il est peu de livres dont on ressente si fortement l’organisation en séquences. Les images isolées assurent la progression, le déplacement du point de vue. Les doubles pages forment des panoramiques quand les nombreux polyptyques sont l’équivalent de plans-séquences. Enfin, les termes peuvent surprendre concernant Lewis Baltz, mais Candlestick Point, dans sa rigueur, est d’une sensualité et d’un lyrisme tout latin. Sensation traduite notamment par le flou de mouvement des branchages et par le passage du noir et blanc à la couleur. Un mélange de chaud et de froid que l’on peut retrouver chez Perec comme chez Antonioni.